dimanche 1 décembre 2013

Un contrat de mariage plein de surprises

Il y a peu de temps, ayant appris que mes ancêtres Pierre DESVEAUX et Louise BESSE avaient fait un contrat de mariage devant un notaire de Vayres, en Haute-Vienne, j'ai demandé à l'association Le Fil d'Ariane s'ils pouvaient le retrouver. J'ai rapidement obtenu une réponse et avec ce contrat, se trouvaient également deux autres actes notariés très intéressants.

Jean DESVEAUX + Anne FOURGEAUD
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                                Pierre DESVEAUX + Louise BESSE
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Baptiste DESVEAUX
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Mon grand-père
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Mon père
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Moi

Tout d'abord, il y avait une retranscription du conseil de famille de Louise BESSE. Plaçons le décor : Pierre DESVEAUX est un riche propriétaire de Charente. Depuis trois générations, les DESVEAUX font des mariages intéressants. 
  • Pierre DESVEAUX a épousé Elisabeth BOULESTEIX, issue de la petite noblesse charentaise. 
  • Leur fils, Jean DESVEAUX a épousé Anne FOURGEAUD, d'une famille de riches propriétaires terriens.
  • Leur fils, Pierre DESVEAUX épouse Louise BESSE, une orpheline de la Haute-Vienne, qui a hérité de grands biens de ses parents.
Louise BESSE est née le 12 juin 1854 dans le village de Forgeas, à Saint-Bazile, en Haute-Vienne.

Cadastre napoléonien de Saint-Bazile
(source : Archives départementales de la Haute-Vienne - SAINT-BAZILE - dite du Bourg - B4 (1839))
Malheureusement, son père, Léonard BESSE, meurt en 1858 et sa mère, Marie GIRY, en 1859, laissant la petite Louise orpheline. Son premier tuteur sera un dénommé Léonard LÉONARD (ça ne s'invente pas !), puis en 1867, le Sieur Jean TIPHONNET, son oncle, prendra le relai. 

Pour une raison que j'ignore (car ils ne viennent pas de la même région bien que de village relativement proches), la jeune Louise BESSE, âgée de 17 ans, souhaite épouser Pierre DESVEAUX, propriétaire cultivateur ou propriétaire sans profession selon les actes, âgé de 21 ans. Elle est mineure et n'a plus de parents, il faut donc réunir un conseil de famille.

Le conseil de famille

Les membres de sa famille paternelle et maternelle se réunissent donc le 18 avril 1872 chez le juge de paix de Rochechouart (dans la Haute-Vienne), pour décider si oui ou non ce mariage est avantageux.

(source : Archives départementales de la Haute-Vienne)
Sont réunis pour décider du sort de notre orpheline mineure : 
  • Jean CALLANDRAUD, propriétaire et cultivateur, son oncle par alliance à la mode de Bretagne.
  • Jean VIAUD, propriétaire et cultivateur, le cousin issu de germain de son père.
  • Jean TIPHONNET, propriétaire, son tuteur.
  • François BARRAUD, propriétaire et cultivateur, cousin germain par alliance de sa mère.
  • Jean GIRY, propriétaire et cultivateur, son grand-oncle.
  • François BESSE, propriétaire et cultivateur, son frère.
Le mariage est ici appelé "association conjugale" et on peut exclure toute notion de romantisme. Le conseil de famille est réuni pour décider si ce mariage est avantageux ou non.

(source : Archives départementales de la Haute-Vienne)
"... ledit conseil ainsi constitué, après en avoir mûrement délibéré, avec nous et chacun de ses membres nous ayant donné son avis à part, a déclaré à l'unanimité des suffrages, moins-celui de Jean Callandraud, qui a voté contre ledit projet de mariage, la mineure Louise Besse étant âgée de moins de dix-huit ans ..."
L'oncle de notre future mariée, Jean CALLANDRAUD, la trouve trop jeune pour se marier et vote contre. Les cinq autres membres du conseil de famille trouvent que "le mariage projeté entre ladite Louise Besse et le Sieur Pierre Dévaud sus-nommé [...] présentant à tous égards les conditions et avantages qu'on peut désirer pour ladite mineure" décident de voter en faveur de cette union.

Quelle drôle d'époque où le destin d'une jeune fille dépend de l'avis de sa famille ! En tout cas, la première étape est passée et Louise va pouvoir se marier. Que se passe-t-il pendant ce temps en Charente ?

La procuration

Dans le village de Chez Mourgoux, à Mouzon (où vivent les DESVEAUX à l'époque), Madame Anne FOURGEAUD a fait venir le notaire de Massignac, le 23 avril 1872, pour donner procuration à son mari et à son fils de parler en son nom. Drôle de situation où d'un côté une femme mineure ne peut agir pour son propre mariage et de l'autre, une femme majeure et mariée qui donne une autorisation à son mari.

Comme je le présumais, les FOURGEAUD sont une famille de propriétaires assez riches et puisqu'il va être affaire d'argent dans le contrat de mariage et que l'argent appartient en partie à la mère du marié, il faut qu'elle donne procuration à son mari pour parler en son nom. Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est le détail des conditions requises pour pouvoir être témoin à cet acte et qui sont détaillées par le notaire.

(source : Archives départementales de la Haute-Vienne)
"En présence de MM. Jean Fort propriétaire cultivateur Et Léonard Gay aussi cultivateur demeurant tous deux séparément au dit village de chez mourgou. Nos deux Témoins instrumentaires connus et requis par les parties, réunissant les qualités voulues par la Loi ainsi qu'il le déclarent et que les parties le déclarent elles-mêmes sur l'interpellation du notaire; savoir : majeurs, citoyens Français, jouissant de leurs droits civils & politiques non parents ni allié, soit entr'eux soit avec les parties et domiciliés dans la commune de Mouzon au dit village de chez mourgoux."
De telles conditions devaient être difficiles à réunir dans de petits village où presque tout le monde est relié d'une manière ou d'une autre. 

Le contrat de mariage

Nous sommes maintenant le 26 avril 1872, à Rochechouart, dans la demeure de Monsieur Vayssade, maître d'hôtel. Nos deux futurs mariés sont réunis pour négocier les conditions de ce mariage et avant de vous apprendre les dots de nos époux, comparons avec les autres contrats de mariage de mes aïeux de la fin du XIXe siècle pour avoir une idée de la valeur des sommes engagées.
  • Louis Victor BRANCHU & Joséphine Marie BENOIST : il est fils d'industriel, elle est fille d'ouvrier. Il apporte 400 F d'obligations au porteur de la ville de Paris, 1/4 d'obligation de 400 F au porteur de la ville de Paris, 700 F d'apports en deniers comptants, 2 000 F d'apports de la succession de son père et 30 000 F d'héritage de son défunt père à venir après l'usufruit de sa mère. Elle apporte 400 F en deniers comptants.
  • Joseph PERLY et Eugénie Camille PÉROLAT : il est boulanger et elle est fille de boulangers. Il apporte un livret de caisse d'épargne de 415 F 25 et une reconnaissance de dette de 151 F 90. Elle apporte 1 000 F de meubles.
  • Élie SUIVRE et Françoise SAINT-YRIEIX : il est maître bottier, fils de cordonnier, elle est fille d'aubergiste. Il apporte une maison et un terrain d'une valeur de 2 000 F, des meubles pour 1 000 F et une boutique pour 1 000 F ainsi que 1 000 F en espèces. Elle apporte 60 F de draps, 26 F de serviettes et 20 francs de couverture en laine.
Voilà de quoi se faire une idée du prix des choses à cette époque entre le fils d'un industriel, des boulangers de classe moyenne, et des cordonniers plus modestes. Voici donc les conditions du contrat de mariage DESVEAUX-BESSE.

L'époux apporte : 
  • 200 F d'objets mobiliers.
  • 30 F de pension viagère annuelle.
  • 6 000 F donnés en héritage par son oncle Jacques DESVEAUX.
L'épouse apporte : 
  • 17 937 F 90 d'une propriété au village du Breuil et dans ses dépendances sur la commune de Rochechouart et de Pressignac.
  • 117 F 40 d'objets mobiliers
  • 1 263 F 75 d'une soulte
  • 1 500 F de sommes dues par ses tuteurs et évaluées ainsi par elle.
C'est donc une dot considérable qu'apporte Louise Besse. Sachant que la maison d'Élie SUIVRE à Jumilhac valait 1 000 F, je n'imagine pas la taille d'une maison de près de 18 000 F à l'époque ! Pour avoir des ancêtres vignerons à la même époque, une terre agricole valait environ 400 F, c'est donc probablement un ensemble de terres et de fermes qu'elle apporte en dot.

Mon grand-père m'a raconté que ses grands-parents avaient une grosse ferme à étages en Charente avec des ruches, de magnifiques bestiaux, etc., je vois en effet qu'ils étaient propriétaires de plusieurs fermes. Dans tous les cas, ce contrat de mariage s'est avéré instructif et permet de mieux cerner la sociologie de nos ancêtres tant "propriétaire cultivateur" peut avoir de sens différents. J'ai eu la chance en bonus d'avoir un conseil de famille et une procuration qui étaient contenus dedans. N'hésitez donc pas à parcourir les archives notariales, toujours pleines de surprises !

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